Eloge de la scène
Prologue
Le rideau pourpre cerclé d’or se lève,
Dans la salle, un silence de mort s’élève,
Le feu s’anime et les planches s’éclairent,
Et les jeux de scène crépitent sous la lumière.
Acte I : Le Théâtre
Arlequin – Que de débandade de rires et de fantaisies je vais faire aujourd’hui ! Sur cette scène si sereine, trop sereine, elle n’attendait que moi.
Pierrot – Et pourquoi donc elle ne serait qu’à vous ? La scène accueille tous les acteurs qui veuillent bien y jouer dessus. Une pièce seule, ce serait d’un triste émoi.
Colombine – Du calme, mes amis. On dirait que la scène est une femme pour vous, vous vous battez pour elle comme vous le faites pour moi. Trop aimable, mais la scène est pour tous. Finissons donc notre commedia dell’arte et laissons place aux vers tragiques chantés.
Antigone – Catharsis d’émotions enfermées dans la scène
Que je foule de mes pieds sans pour autant la faire mienne,
Phèdre – En cinq actes seulement, une action par temps
Jouons pour elle les mythes les plus éloquents
Britannicus – Elle supporte la trahison et la violence
Sur elle, je m’effondrerai, laissant couler ma démence.
Acte II : La Danse
Giselle - Je m’élève du sol, pointes en harmonie.
Faire grâce de la scène, gracieuse danse d’étoiles filantes
Elles s’envolent et retombent mais personne ne peut les oublier
C’est de cette façon que je danse mon ballet.
Liza Minelli - Et la pointe laisse place au talon
Tournoyant sur ma chaise, je fais vibrer la scène
Et lui offre un cabaret de chapeaux melon
Qui s’envolent au gré de mes chansons.
Acte III : Le Clair-Obscur
Les Ombres - Théâtre ombragé, gestuelles cachées
L’obscurité danse avec la lumière
Et fait apparaître ces silhouettes éphémères,
La scène voit son ombre, miroir enchanté.
Le Mime - Puis, le noir et le blanc entremêlés
Je ne pipe pas mot et entame mon dialogue silencieux
Au théâtre comme dans la rue, pour moi tout est scène,
Tous sont les bienvenus, pourvu qu’ils m’aiment.
Entracte
L’espace d’un soupir, le temps de se reposer.
La solitude aussi doit fouler son plancher.
Acte IV : L’Illusion
Le Magicien – Approchez ! Approchez ! Venez donc dans le monde de la magie et de l’étrange. Regardez donc ce tour de cartes, ce tour de prestidigitation. Accompagnez-moi donc sur scène, venez donc faire avec elle l’expérience de l’illusion.
Le Ventriloque – Balivernes que ce magicien ! Regardez la vraie magie, mon compagnon que voilà, il parle comme vous et moi.
La Marionnette – La scène n’appartient donc pas qu’aux humains ! Moi noble pantin de bois, je suis venu partager cet amour universel du spectacle. Adultes, enfants, petits et grands me regardent avec rire, avec effroi. Allons bon, n’ayez pas peur, je suis manipulé, laissez-vous tenter par l’illusion de ma personnalité.
Acte V : La Musique
Le Chef d’orchestre – Allez-y je vous en prie, faites votre entrée.
Le Pianiste – Je joue les premiers accords sans que ce soit vivace.
Le Premier Violon – J’attends le moment où le chef d’orchestre nous dira de jouer.
Le Chef d’orchestre – Commencez vos notes graves piano, laisser planer le mystère, ne couvrez pas le piano.
Le Premier Violon – Je retiens mon archet, andante, ordonnant aux autres de m’imiter.
Le Chef d’orchestre – Donnez un accent, un peu plus d’intensité.
Le Premier Violon – Je sens le corps du violon au creux de mon cou, mon archet plus vigoureux donnant des à-coups.
Le Pianiste – Rachmaninov, Mozart, Beethoven, que tous les concertos du monde viennent rendre hommage à la scène qui chavire avec notre interprétation.
Le Premier Violon – Les notes se posent sur elle, s’inscrivent en elle, dansent avec elle.
Le Chef d’orchestre – Ne la laissez pas tomber, donnez-lui le coup de grâce, que la scène soit fière de ceux qui la font résonner.
Epilogue
Les spectateurs se lèvent, faisant honneur à la scène, applaudissent le spectacle, applaudissent celle qui les a conviés.
Le rideau coulisse alors sur elle, comme si elle laissait ses larmes couler pour cette fin inespérée.
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